Porter plainte : Quand le système faillit

13 janvier 2025

Par
Sara Frattolillo, mère et responsable des communications chez Mieux-Naître à Laval
Amélie Blanchette, mère, doula et conseillère en intervention périnatale chez Mieux-Naître à Laval

Avec la généreuse participation de Josée Laperle, directrice générale du Centre d’assistance et d’accompagnement aux plaintes de Laval (CAAP)

Quels sont nos recours lorsque nous sommes insatisfait·e·s des soins et services obtenus lors de notre suivi de grossesse ou de notre accouchement? Pouvons-nous porter plainte? À qui et comment?

Nous avons rencontré Josée Laperle du Centre d’assistance et d’accompagnement aux plaintes (CAAP) de Laval.


S.F. : Si on part de la base, qu’est-ce qu’une plainte et comment ça fonctionne?

J.L. : Une plainte survient lorsqu’il y a un écart entre nos attentes et notre perception des services ou soins reçus. Concrètement, c’est une démarche écrite ou verbale qui vise à apporter des changements. Dans chaque CISSS ou CIUSSS, une personne est responsable de les recevoir : le ou la Commissaire aux plaintes.

Dans le formulaire de plainte, on détaille la situation et explique les attentes, car c’est ce qui guide le processus : qu’aimeriez-vous voir changer ? À la suite de ce dépôt, la personne Commissaire rencontre généralement toutes les personnes concernées pour recueillir leur version des faits. Elle a 45 jours pour émettre ses conclusions et recommandations.

Si la personne plaignante n’est pas satisfaite, elle a un 2e recours, auprès du Protecteur du citoyen.


S.F. : Pourquoi porter plainte? Quels peuvent être les bénéfices de ce processus?

J.L. : Le régime d’examen des plaintes vise à améliorer le réseau de la santé. Dans la majorité des cas, les bénéfices seront pour les autres, parce que nous ne recevrons peut-être pas le même service par la même personne dans le futur… mais si personne ne le dit, personne ne le sait et rien ne va changer.

Au CAAP, on constate aussi que le fait de porter plainte peut aider à faire la paix avec notre histoire. Dans le processus de plainte, nous mettons d’abord les dires de la personne par écrit après avoir écouté, sans jugement. Ensuite vient l’étape de la lecture de la plainte qui fait souvent beaucoup de bien et peut participer au processus de guérison, car la personne sent son expérience validée.


S.F. : Quels sont les critères d’une plainte recevable?

J.L. : Dès qu’il y a un écart entre la qualité du service reçu et les attentes, il y a matière à porter plainte, si la personne a le temps, l’énergie et la motivation de le faire. Il n’y a pas non plus de délai maximal à respecter. Elle doit simplement être faite par l’usager·ère pour être recevable (à l’exception des plaintes qui touchent la pratique médicale qui elles peuvent être faites par un·e proche).


S.F. : Quelles en sont les conséquences potentielles?

J. L. : La·le commissaire a un pouvoir de recommandation, mais ne peut pas directement congédier une personne ou la radier de son ordre professionnel. Il ne peut y avoir de compensation financière non plus. On recommandera généralement :

  • Des formations
  • Des rappels à l’équipe de respecter les protocoles en place
  • Une révision de l’approche, de la pratique ou des protocoles

Il est aussi possible que le·la médecin cesse de traiter la personne plaignante, en stipulant un bris du lien de confiance.


S.F. : Qu’est-ce que le CAAP?

J.L. : Les centres d’assistance et d’accompagnement aux plaintes sont des organismes communautaires auxquels vous pouvez vous adresser pour obtenir l’aide et le soutien nécessaires au dépôt de votre plainte. Les services sont gratuits et confidentiels. Toutes les régions du Québec ont un centre d’assistance et d’accompagnement aux plaintes.


S.F. : Voici quelques mises en situation rédigées par Amélie Blanchette qui exposent certaines situations vécues. Quels sont vos commentaires et vos recommandations à la lecture de celles-ci?

Mise en situation 1 (situation typique de « cascade d’interventions ») :

« Je me suis présentée à mon rendez-vous de suivi médical à 37 semaines et 3 jours, ma grossesse est normale, sans inquiétude particulière. Mon médecin m’a proposé de vérifier l’état de mon col, et j’ai eu envie de savoir s’il y avait eu du changement. Lors de l’examen, j’ai trouvé cela long (au moins 45 secondes) et assez douloureux. À la suite de l’examen, mon médecin m’a dit que mon col était ouvert à 1 cm et qu’il l’avait “massé pour aider un peu”. Je pense que j’ai subi un décollement des membranes sans en avoir été avertie et sans avoir donné mon consentement.

Commentaire de Josée Laperle :

J. L. : Si des interventions sont faites sans demander votre consentement, ce n’est pas légal. Si vous pensez avoir subi une intervention, n’hésitez pas à poser des questions, à demander une clarification. Plusieurs n’osent pas par peur de déplaire ou d’avoir l’air de faire leur “compliquée”. Mais c’est votre droit de savoir. C’est un réflexe à développer. Le fait de ne pas savoir si l’intervention a eu lieu cause beaucoup de questionnements après coup. Le CAAP travaille à sensibiliser les femmes à l’importance de poser des questions et de s’affirmer.

Par la suite, j’ai eu des contractions irrégulières toute la soirée et toute la nuit qui m’ont empêchée de dormir. Le lendemain matin, elles continuaient toujours. On a décidé d’aller à l’hôpital. À l’arrivée, l’examen a montré que mon col avait très peu changé, 1,5 cm. On est donc rentré à la maison, épuisé·e·s et déçu·e·s.

On m’avait dit que je n’étais pas “vraiment en travail”, mais les contractions continuaient. Vers 22 h, on est retourné·e·s à l’hôpital et, en route, les eaux ont crevé et nous sommes donc resté·e·s à l’hôpital. Les contractions étaient toujours aux 7-8 minutes et plus fortes qu’avant. À l’examen, j’ai été très déçue, car malgré les 24 h de contractions qui venaient de passer, mon col était ouvert à seulement 2 cm… J’ai pris mon courage à 2 mains, et j’ai traversé le plus de contractions possibles jusqu’à vers 4 h du matin.

Après presque 48 h sans dormir, j’étais découragée et j’ai demandé la péridurale. C’était merveilleux, j’ai pu me reposer un peu ! Par contre, les contractions se sont beaucoup espacées alors on m’a donné un médicament pour augmenter mes contractions. C’est là qu’on a commencé à s’inquiéter, car le cœur de mon bébé décélérait souvent.

Quand je me suis fait examiner, bonne nouvelle, j’étais à 9 cm ! Mais le médecin avait l’air inquiet, à cause du cœur de mon bébé. Il m’a demandé d’essayer de pousser. Je l’ai fait, mais je ne sentais rien, j’essayais de pousser, mais je ne pense pas que c’était efficace, car l’infirmière me parlait très fort : “vous ne poussez pas bien, il faut m’écouter ! Si vous ne poussez pas mieux que ça, on devra faire une césarienne, votre bébé est fatigué“. 

J.L. : La façon qu’a l’infirmière de s’adresser à la mère n’est pas acceptable et est un élément important à mettre en relief dans la plainte.

 Alors j’ai tout donné… à un moment, mon conjoint a vu le médecin sortir des ciseaux, et le médecin m’a coupée.

J.L. : On fait face à un système qui va souvent nous informer, plutôt que de nous demander. La personne qui accouche aurait dû donner son consentement avant que le médecin fasse l’épisiotomie.

Il ne m’a rien dit, mais par après il a dit qu’il le fallait, que bébé devait sortir. J’ai compris après qu’il m’avait fait une épisiotomie…. et il a sorti mon bébé avec des forceps.

Sur le coup, j’étais contente, parce que j’avais peur pour mon bébé. Mon bébé était fatigué et a eu besoin qu’on l’aide à respirer pendant sa première heure de vie ; il est donc parti avec mon conjoint pour recevoir des soins pendant que le médecin me faisait des points. Ah oui, pendant qu’il me recousait, cela me faisait très mal et je l’ai dit au médecin, mais il ne m’a pas crue.

J.L. : Encore une fois, l’approche ici est inadéquate. La personne qui accouche a le droit de recevoir des soins de qualité. Ne pas la croire est ici un grand manque de professionnalisme.

Après tout, j’étais sous épidurale, je n’étais pas censée avoir mal ! Il a continué à me recoudre…  Mais 7 jours après, j’ai encore très mal à ma cicatrice, j’ai beaucoup d’enflures, et mon bébé a du mal à téter sur mon sein droit. Je me demande si tout cela n’est pas dû aux forceps, et à l’épisiotomie…. et au fait qu’on a été séparé·e·s pendant la première heure. Je me demande aussi si mon histoire aurait pu être différente sans ce stripping du début pour lequel je n’ai pas été consultée. Depuis la naissance, mon conjoint n’a pas réussi à dormir beaucoup, il pleure souvent quand il parle de la naissance. Je pense qu’il a eu très peur. Je ne suis pas sûre qu’il aille très bien, il a peur de prendre bébé… et moi, je repense beaucoup à toute cette histoire. j’en rêve même la nuit… 

J.L. : On voit ici les conséquences de ne pas s’être senti·e écouté·e ; de la colère, de l’inquiétude, de la frustration et des regrets. Dans une plainte comme ça, le·la commissaire pourrait faire des recommandations à l’endroit du personnel, mais pourrait aussi recommander que les parents aient une référence à un groupe de soutien, un service de soutien psychosocial.


Mise en situation 2

« Après avoir donné naissance, j’ai hésité à donner de la vitamine K à mon bébé. J’ai voulu qu’on m’explique en quoi consistait le traitement, quelles étaient les utilités ; on m’a répondu rapidement que sans ça, mon bébé pourrait mourir et que je serais irresponsable de ne pas le donner.

J.L. : Le droit à l’information n’a pas été respecté ici. La personne qui accouche n’a pas eu l’espace pour donner un consentement libre et éclairé.

Je l’ai donc donné, ça m’a fait peur. » 


Mise en situation 3

« Lorsque j’ai voulu parler de nos souhaits de naissance, vers 35 semaines, ma médecin m’a dit qu’elle n’avait pas besoin de les lire, car de toute façon, je ne pouvais pas contrôler le déroulement de l’accouchement et que si l’équipe prenait des décisions, ce serait pour le mieux. Je lui ai quand même tendu ma feuille et je l’ai vu l’écarter du dossier et la mettre à la poubelle. »

J.L : Il est probable que la plainte ne soit pas recevable ici, car le geste répréhensible a probablement été commis dans une clinique externe. La·Le commissaire n’étudie pas les plaintes pour des situations vécues hors hôpitaux/CLSC. Dans cette situation, c’est plutôt une plainte au Collège des médecins qui serait conseillée.


Mise en situation 4

« Pendant l’accouchement, qui a été très rapide, j’ai voulu continuer de bouger librement jusqu’à la naissance de mon bébé. Les infirmières m’ont demandé de me coucher sur le dos ”parce que c’est comme ça qu’on fait ici” et que si je voulais accoucher autrement, ”c’est en ‘Maison de Naissance que j’aurais dû aller”. J’ai continué de pousser à quatre pattes, parce que c’est comme cela que je me sentais bien et capable. Chaque fois qu’une nouvelle personne entrait dans la salle, elle questionnait et essayait de me convaincre de me mettre sur le dos. Mais ça me faisait tellement plus mal si je me plaçais autrement ! Je disais que je ne pouvais pas. Quand la médecin est arrivée, elle m’a permis de pousser encore un peu à 4 pattes, mais m’a dit qu’ensuite elle aurait besoin que je me mette sur le dos, parce que si elle commençait à travailler comme cela, elle aurait des problèmes de dos. Je me suis sentie coupable, un peu capricieuse. Je me suis alors tournée sur le dos et j’ai donné naissance à mon bébé.

J. L. : C’est une situation intéressante, car bien que l’usagère ait le droit de participer aux soins, la·le médecin aussi peut refuser certaines demandes. La ligne entre les deux peut parfois être floue. Dans cette situation, serait-il possible de trouver une alternative, un·e autre médecin présent·e qui accepterait cette demande ?

Note des autrices : Notons ici que les autorités pertinentes en santé recommandent que les personnes qui accouchent puissent choisir la position qui leur conviennent lors de la poussée afin de favoriser l’accouchement physiologique. Ce refus du médecin est contraire aux recommandations en vigueur.

Même si mon bébé est en santé, je me sens un peu incompétente… »


Mise en situation 5

« Pendant l’accouchement, à chaque fois qu’on me faisait un examen vaginal, ça me faisait super mal. J’ai demandé d’en faire moins souvent, mais on m’a dit qu’on n’avait pas le choix.

J.L : C’est faux… on a toujours le choix, on peut dire non. Et le refus doit être respecté.

Je me souviens que pendant un des examens, je criais que j’avais mal, d’enlever leurs doigts, mais la personne restait là en me disait que ce n’étaient pas ses doigts qui me faisaient mal, mais mes contractions. » 

Soyons bien claires : toutes les mises en situation ci-haut pourraient faire l’objet d’une plainte. Plusieurs sont également des violences obstétricales et gynécologiques (VOG). Le Regroupement Naissances Respectées définit les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) comme « des violences systémiques/institutionnelles et genrées qui se situent sur le continuum des violences sexuelles. Il s’agit d’un ensemble de gestes, de paroles et d’actes médicaux qui compromettent l’intégrité physique et mentale des femmes et des personnes qui accouchent de façon plus ou moins sévère.»

Le processus de plaintes est une démarche de reprise de pouvoir et une occasion de mettre en lumière les défaillances du système pour qu’il change! Saisissons-la!

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