Récit de naissance pour Melker

Par Émilie

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Émilie relate son expérience d’accouchement vaginal après césarienne (AVAC) pour lequel elle a eu un suivi sage-femme et un accouchement à l’hôpital suite à un transfert. Dans son récit, elle partage sa gratitude et son bonheur d’avoir réussi son AVAC même si elle n’était pas de lieu choisi initialement (à domicile).

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Pourquoi je souhaite témoigner?
Je veux témoigner pour partager mon chemin vers mon AVAC (et sa réussite!), et ce malgré les doutes et les incertitudes tout au long de la naissance.

Mon récit de naissance débute probablement par la naissance de notre aînée. Nous avions bénéficié d’un super suivi sage-femme. J’avais dépassé ma date, rompu mes eaux, tenté de déclencher le travail en maison de naissance, puis j’ai été transférée à l’hôpital, subi une cascade d’interventions médicales, vécu une foule de déceptions et de deuils qui ont finalement abouti à une césarienne au milieu de la nuit quasi 48 heures plus tard. Inutile de dire que cette histoire laisse des blessures et des appréhensions.

Cette fois-ci, sans hésitation, nous optons encore pour un suivi sage-femme. La grossesse se déroule bien. Le choix du lieu de naissance amène beaucoup de recherches et de questionnements, comme il s’agit d’un accouchement vaginal après césarienne (AVAC). Notre choix s’arrête tardivement sur le domicile. Mon corps se prépare en fin de grossesse, je commence à dilater et à effacer tranquillement. Je ne ressens aucune contraction. Je dépasse ma date. Je me sens bien, je sens que mon corps se prépare. J’ai un stripping à 40 sem.+4 j. Le lendemain, de petites contractions commencent. Je suis très contente et excitée. C’est la première fois que je ressens des contractions, mes contractions. Ça me donne une poussée de confiance en mon corps.

Quand nous allons nous coucher, je remarque que mes contractions sont toutes les sept minutes, mais je ne les trouve pas trop intenses. Si c’est la latence, je dois me reposer et essayer de dormir. Les heures passent, mais je n’arrive pas à fermer l’œil. Les contractions me gardent éveillée. Je voudrais me lever, bouger, faire des sons pour prendre les contractions, mais je ne veux pas réveiller notre aînée. Vers 2 ou 3 heures du matin, c’est plus intense. Je reste allongée, mais je commence à faire des sons graves lors des contractions. Ça donne un indicatif à mon amoureux, qui arrive à les calculer. Elles durent 1 minute toutes les 5 minutes pendant une bonne heure. Je finis par me lever. De toute façon, je ne dormirai pas. On s’active un peu. Je prends une douche qui fait du bien, mais qui n’arrête pas le travail. On appelle Gabrielle, la sage-femme. Pendant notre discussion, je prends une contraction en silence, elle est moins forte que les autres. Comme si j’avais une réserve devant Gabrielle qui m’écoute. On se prépare. On appelle ma mère. Notre fille quitte. Il est presque 5 h. Mon amoureux finit de préparer la maison. Gabrielle nous rejoint vers 7 h 30. À son arrivée, je prends mes contractions en silence, différemment. On dirait que j’ai une gêne, pourtant, j’aime beaucoup Gabrielle et elle me rend à l’aise. L’intensité s’estompe tranquillement… On essaie de réactiver le travail, mais en vain. Gabrielle quitte. Je suis déçue et exténuée de ne pas avoir dormi de la nuit. J’essaie de me reposer pour aider les choses à reprendre. Cet après-midi-là, j’ai des contractions, très variables en intensité et en fréquence. En fin de journée, nous avons une visite de Kalina, sage-femme, pour faire une évaluation et voir les options. Je suis ambivalente. À la suggestion de Kalina, j’essaie le truc des Gravol qui causent de la somnolence afin que je me repose bien la nuit prochaine. Je dors un beau 8 heures d’affilée. Je me sens super reposée et en pleine forme. C’est calme, je n’ai pas de contractions. J’indique à Kalina que nous pourrons nous rendre à la maison de naissance pour notre rendez-vous de 41 semaines.

Bébé va très bien, moi aussi. Je n’arrive pas à dire si j’ai des contractions, c’est juste étrange. J’ai l’impression que je vais ouvrir par en dessous, ça pousse sur mon coccyx, ça tire dans mon bas-ventre. On fait un examen et, étonnamment, je suis à 6 cm et mon col est pratiquement tout effacé. Mon bébé s’engage de plus en plus. Mon corps a donc continué à faire son travail en catimini. On fait le stripping. On discute de la rupture de la poche des eaux, je ne me sens pas encore prête. Comme je suis à 41 semaines, on parle de différents scénarios. Je n’aurais pas pensé à accepter de me rendre jusque-là (ça fait partie des facteurs non favorables à la réussite d’un AVAC), mais comme mon corps s’active, que je me sens bien et que je progresse toujours, la situation est maintenant tout à fait envisageable pour moi. Je veux mon AVAC.

Nous rentrons à la maison et tentons les mêmes manœuvres pour déclencher l’accouchement : escaliers, marche, ballon… J’ai des contractions. Je sens que ça bouge, mais rien de significatif. Je chronomètre, c’est variable.

Ce soir-là, je pense beaucoup trop à ma fille. Je finis par dire à mon amoureux d’aller souper avec elle, de s’assurer qu’elle est correcte et qu’elle sait que ses parents pensent à elle et l’aiment. Personnellement, je ne veux voir personne, je veux rester dans ma bulle, je ne veux aller nulle part. Juste être chez moi. Lorsqu’il quitte, je laisse venir les contractions. Je décide de les prendre bruyamment. Je ne calcule plus rien. Il n’y a personne. Je les prends comme je veux. Très fort. Même si c’est la latence, que c’est censé être tolérable, même si je me dis que je dois être capable de gérer ça si je veux envisager mon travail actif. L’intensité augmente. La fréquence aussi. Je souffle mon col. Je me laisse aller… Je finis par texter mon amoureux. J’ai envie qu’il soit près de moi. Je prends un bain pour me détendre en l’attendant… ce qui ralentit les contractions. Découragement.

Nous sommes maintenant à la troisième nuit. Elle est intense. J’ai des contractions que je trouve fortes, ou suis-je peut-être simplement fatiguée? Techniquement, je suis encore en latence. Je dois être capable de gérer. Elles ne sont pas très longues. Plutôt espacées. Suffisamment espacées pour que je somnole entre chacune et que j’aie vraiment envie de m’endormir, mais pas suffisamment pour que je dorme pour vrai. Je suis fatiguée. Après chaque contraction, je ressens le besoin d’aller à la toilette. Je sais qu’il n’y aura rien. Étranges sensations. Je perds beaucoup de mucus.

Le lendemain, je suis déconfite. Confuse. Je ne sais plus quoi faire. Ce n’est pas une si grande douleur, mais ça m’use. Ça fait trois jours que nous sommes là-dedans… Kalina arrive vers 9 h, prend le temps de m’écouter. On se fait un plan, et comme de toute façon nous avons un rendez-vous en obstétrique sous peu, on décide de rompre la poche des eaux ce matin. Je n’en peux plus d’étirer ça. Kalina fait mon examen et, à la surprise de tous, je suis à 8 cm. Tout ce que j’ai ressenti durant la nuit a fait progresser les choses. Je vais bien. Bébé aussi. Une certaine fébrilité s’installe. Vu l’état de la situation, Kalina souhaite appeler Gabrielle et l’aide natale avant de procéder à la rupture, car ça risque d’aller vite.

Une fois les membranes rompues, je me sens mieux. Cette pression que je sentais sur mon coccyx, mon urètre et mon bassin se dissipe. Rapidement, les contractions s’installent. La pause entre les contractions est encore plus agréable. Il fait un beau soleil. La chambre est pleine de rayons. Je danse avec mon amoureux. Il est près de moi. Nous rions. C’est beau, exactement comme je l’avais rêvé et visualisé. Je trouve que je gère bien la situation. Je sens que je peux prendre mes contractions comme je le veux. À mesure que l’intensité augmente, Kalina m’encourage à pleurer si j’en ai besoin. J’en prends en pleurant, en criant, en hurlant. Je sens qu’on a confiance en moi. Je peux complètement me laisser aller pendant les contractions. Je me sens très calme ensuite. Ça va bien.

J’entrevois l’heure, le temps passe vite. Je n’ai plus de répit entre les contractions, il y a peu de pauses. C’est la transition, en intensité. Je me rappelle mes préparations. Je sais qu’il y a un moment de doute, face à un mur. Je me permets de tout sortir. Je pleure, je crie. Je n’ai pas d’anxiété de performance. Je sais que je peux le faire, mais je laisse sortir tout ce qui me passe par la tête. Je sens que les gens autour de moi ont confiance. Je me sens en contrôle dans mon non-contrôle, en possession de mon laisser-aller. Je trouve ça beau.

On arrive à la poussée. Je ressens une grande satisfaction d’être à cette étape. Ça fait du bien de pousser les contractions. Je me sens active. Je crie. J’ai l’impression de me transformer en loup-garou, en animal. Je fais des sons que je ne comprends pas moi-même. Je sens chaque fibre de mon corps travailler. Je me sens fière. Mon bébé sera bientôt dans mes bras. Je me laisse guider. On essaie plusieurs positions. Je finis par contre par comprendre que ça ne progresse pas comme on le souhaite. D’ailleurs, je le sens en moi que ça ne bouge plus. Bébé ne semble pas bien placé.

À un moment, on parle d’ambulance et d’hôpital. Il y a une cassure. Le sol se dérobe sous mes pieds. Je ne peux plus gérer. La douleur physique et dans mon cœur est insoutenable. D’un côté, je ne peux m’imaginer un transfert en ambulance dans cet état. Je n’y arriverai pas. De l’autre, j’ai tout le scénario catastrophique de notre aînée qui me revient. Ça se bouscule dans ma tête. Si je sors de ma chambre et de ma bulle, je veux illico la péridurale et une césarienne. Je suis catégorique. Si je n’ai pu le faire ici, j’y arriverai encore moins à l’hôpital, où tout m’est si hostile. Je me sens comme le pire échec, encore. Le mot déception n’est pas assez fort pour décrire comment je me sens.

Dans l’ambulance, Gabrielle est avec moi, mais mon amoureux ne peut pas m’accompagner en raison de la COVID. Il nous suit en voiture. J’ai les yeux mi-clos. Gabrielle est parfaite, me tient la main, est là au bon moment, écoute mon bébé et me rassure après chaque contraction. Quatorze minutes de transfert. J’ai réussi.

J’ai rapidement ma péridurale à l’hôpital. On doit installer le monitorage avant et l’infirmière peine à trouver mon bébé. Je suis impatiente avec elle. Je demande encore une césarienne à la gynécologue. Elle fait un examen et me dit que non, on n’ira pas en césarienne à ce moment, mon bébé est juste là, il est rendu. Elle veut me refaire un essai de poussée, plus ou moins 15 minutes, puis utiliser la ventouse ou les forceps si ça ne fonctionne pas. C’est Gabrielle qui m’explique, car ça n’a pas de sens dans ma tête. Parfois, l’ambulance peut aider bébé à se placer. Aussi, avec la péridurale, ça aide à relaxer le bassin et certains bébés peuvent ainsi arriver à passer.

On essaie donc de pousser. Je ne sens rien. Ces poussées n’ont rien à voir avec mes autres poussées. Je suis complètement déconnectée de mon corps. Rien ne bouge. On finit par devoir prendre la ventouse. Une contraction, je pousse, je sens une pression, ça tire, une délivrance, la tête. Puis le corps. Puis un vide. Mon bébé est sur moi. Tout chaud. C’est un garçon. On pleure de joie. Ça a été si vite. Même après trois jours. Il pleure beaucoup. Ça a été éprouvant pour lui aussi. Il ne veut pas boire. Je le garde blotti contre moi et je l’écoute. Je suis tellement fière. Il est magnifique.

Mon transfert et mon expérience à l’hôpital ont été franchement différents de ce que j’avais vécu précédemment. Ça a bien été, c’est allé vite. La marque de la ventouse nous montre bien que sa tête était asynclite. Il ne serait pas passé. Je n’ai aucun regret. J’ai fait tout ce que j’ai pu. Je n’ai jamais eu peur, ni pour moi ni pour mon bébé. On avait seulement besoin d’un petit coup de main à la fin. Je le vois vraiment comme un accouchement à la maison, mais la naissance à l’hôpital. J’ai la conviction profonde que jamais je n’aurais pu me rendre là si je n’avais pas été suivie par les sages-femmes, qui ont su respecter mon corps et mon rythme très lent, et qui ont cru en moi. Mon corps a fait un travail atypique et était très sensible à l’environnement. Il est peu probable que j’aurais trouvé ma place dans les protocoles de l’hôpital et que mon AVAC aurait été une réussite. Je suis si reconnaissante de mon suivi et satisfaite de mon accouchement. Quelle expérience cathartique, exutoire et libératrice. Je me sens accomplie et transcendée. L’accueil de mon fils restera une expérience tellement wild. Ça me fait pleurer de bonheur et de gratitude. Merci la vie!

Publication du récit

11 juillet 2024

Citation

Émilie (2024, 03 octobre). Récit de naissance pour Melker. Du cœur au ventre - Mouvement pour l'autonomie dans l'enfantement. https://enfantement.org/ducoeurauventre/recits/hopital/recit-de-naissance-pour-melker/

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