Quelqu’un viendra vous expliquer ce qui s’est passé

Par Pauline

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Dans ce témoignage poignant, Pauline partage la naissance de sa fille Céleste, un moment à la fois sublime et déchirant. Entre les joies d’une grossesse tant espérée et les épreuves d’une naissance prématurée marquée par la pré-éclampsie, elle raconte comment ce jour si attendu s’est transformé en une expérience bouleversante. Avec une plume sincère et lumineuse, elle met en lumière les défis émotionnels et physiques d’un accouchement médicalisé, l’impact durable d’un tel vécu sur sa maternité et la force inouïe de sa fille, Céleste.

Un récit vibrant d’humanité, qui célèbre la résilience et l’amour, tout en ouvrant une réflexion sur l’accompagnement des familles face aux naissances complexes.

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Pourquoi je souhaite témoigner?
La naissance de ma fille est le plus beau moment de ma vie, et en même temps un moment émotionnellement très douloureux. 3 ans après, je ne peux toujours pas raconter sa naissance sans m’effondrer.

Une grossesse à risque

Jusqu’au moment de faire le test de grossesse, je n’étais pas encore tout à fait convaincue de vouloir devenir mère. Déjà fascinée par la maternité, un si grand chamboulement sans possibilité de retour en arrière me donnait le vertige. Les envies de fonder une famille ou de maintenir ma vie comme elle me convenait se chevauchaient.

J’ai senti que j’étais enceinte avant même de faire le test. À la seconde où celui-ci a affiché positif et a confirmé mon ressenti, un bonheur immense m’a envahie: je suis devenue mère à cet instant, et l’évidence de ce nouveau rôle s’est imposée.

Moi qui souhaitais vivre une grossesse lumineuse, connectée à moi et mon bébé, j’ai déchanté en vivant une grossesse à risque (hypertension puis retard de croissance intra-utérin), le tout dans un contexte de travail très intense. Pourtant, j’étais très heureuse d’être enceinte et je m’épanouissais dans mon corps qui s’arrondissait, dans la puissance des mouvements de bébé. Le stress et la peur étaient cependant présents de façon permanente.

Mon corps comprend, ma tête ignore

À 36 semaines et 3 jours, vers 2h du matin, les contractions commencent et j’ai l’impression de sentir moins ma fille bouger. Je prends un peu de sucre et me persuade que ce doit être un faux travail. C’est impossible, il est trop tôt, je dois garder encore ma fille en moi. Une date de déclenchement est prévue seulement dans 10 jours.

Je dors encore un peu mais au réveil, le rythme et l’intensité continuent d’augmenter. Mon conjoint et moi sommes dans le déni total alors que les signes sont clairs. Mon corps a compris que quelque chose n’allait pas et fait tout pour me le dire, mais ma tête, elle, refuse d’écouter. Cette dichotomie se lit dans mes actions:  je continue de travailler, de mettre mes dossiers en ordre et de rédiger des courriels… tout en bougeant le bassin sur mon ballon et en faisant mes sons graves.

Les contractions se rapprochant fortement et la régularité s’installant, je finis par sortir de mon déni et appelle la maternité qui nous dit de venir immédiatement.

 

Dépossédée de ma grossesse et de mon accouchement

Auscultation au triage et déjà mon col est dilaté à 5/6 centimètres : « Madame, vous accouchez aujourd’hui! » Mon regard croise celui de mon conjoint au-dessus de nos masques: il n’est plus possible d’ignorer ce qui arrive, nous allons rencontrer notre fille aujourd’hui.

Je sens dans l’attitude des infirmières que quelque chose se passe. Je saigne, on soupçonne un décollement placentaire. Ma tension artérielle atteint des sommets alors qu’on prépare ma chambre. Malgré tout, j’accueille pleinement chaque contraction, je gère très bien la douleur et je continue de me sentir bien dans mon corps.

Émotionnellement, la confusion s’installe. Au seuil de l’accouchement auquel j’ai tant pensé et pour lequel nous nous sommes préparés avec amour, au seuil de cette transition de Femme à Mère que j’ai maintes fois visualisée et de cette rencontre avec la chair de ma chair, je ressens néanmoins que ma grossesse m’échappe, se terminant trop tôt et trop brusquement.

Alors que je vis ce déchirement au plus profond de moi, l’arrivée du médecin résident m’oblige à revenir dans un présent médical. Les bras croisés dans l’encadrement de la porte, de la façon la plus routinière possible, il prononce les mots « pré-éclampsie » et me dit que la péridurale est hautement recommandée.

Je continue de dire aux infirmières que nous nous sommes préparés pour un accouchement physiologique, ma façon de m’accrocher jusqu’au bout à l’idée que j’avais de cet accouchement, mais tout le personnel insiste: la péridurale est de rigueur à cause de ma tension dangereusement élevée. Sans qu’on nous le verbalise clairement, la notion d’urgence se fait sentir de plus en plus forte.

Arrivée à la chambre, je me sens toute petite devant tout ce matériel médical, les chariots, l’incubateur… L’infirmière m’enveloppe de douceur et m’aide à enfiler la blouse et m’installer. L’anesthésiste arrive. Je ne peux retenir mes larmes lorsqu’il pique. L’infirmière me dit « C’est la douleur? Ça va passer maintenant! » Non, j’ai mal dans mon cœur de tirer un trait sur l’accouchement que je souhaitais pour ma fille et moi. Je me sens complètement dépossédée de ce moment qui aurait dû être si puissant.

En quelques secondes/minutes, je ne sens plus rien, ni la douleur ni les contractions. L’obstétricienne arrive, très chaleureuse, et m’ausculte: 8,5 cm. La poche des eaux crève et tout s’accélère. L’équipe médicale garde le sourire derrière le masque mais l’urgence est palpable, opressante. On invite mon conjoint à retourner à la voiture chercher la valise: « le bébé arrive! »

On me fait changer de position “pour mieux capter le monitoring”. Je vois le cœur de mon bébé chuter à 50. Je comprends que ce n’est pas le capteur le problème, ma fille est en détresse fœtale. Elle doit naître au plus vite.

On me remet sur le dos et on me demande de pousser alors que mon conjoint n’est pas revenu.

Je pousse de toutes mes forces: Sors, Céleste! Vis, Céleste!

Une autre obstétricienne arrive, d’autres infirmières et spécialistes dont je ne remarque pas la présence immédiatement. Mon conjoint revient et se place à mes côtés. J’entends le mot « transverse », on me parle de « ventouse peut-être », quelqu’un est à 4 pattes sur le lit et presse sur mon ventre. Autour de moi, en moi, c’est le chaos. Je garde toute mon attention sur ma fille et sur le fait que je dois être efficace. Je pousse depuis mes tripes, c’est la seule chose que je peux contrôler.

Encore une poussée et mon bébé sort, minuscule mais tellement vigoureuse, elle crie immédiatement! On me la pose sur la poitrine, plus rien ne compte. Je pleure, je ris. Je lui dis que je suis sa Maman et que je l’aime. Je suis dans ma bulle avec elle, sa peau contre la mienne.

Malgré une fatigue visible dans son regard, Céleste va bien. L’ambiance se détend, les sourires ne sont plus de façade. J’entends même des rires. Mon conjoint m’explique plus tard que le placenta est venu immédiatement et a été envoyé au laboratoire pour examen. Je ne l’ai pas vu. Je m’aperçois à peine qu’on me recoud. Tout le personnel quitte: « Quelqu’un viendra vous expliquer ce qui s’est passé ».

 

Céleste, si frêle et puissante à la fois

Mon conjoint, ma fille et moi nous retrouvons dans un calme infini après cette tempête. Face à nous-mêmes dans cette chambre qui, quelques secondes auparavant, était pleine à craquer, nous sommes complètement désorientés. Nous découvrons notre fille, si petite et frêle, son regard transperçant, qui a déjà vécu tant de choses. Nous lui parlons pour la rassurer, et nous rassurer aussi. Nous sommes émerveillés par la vie et à la fois dépassés par tout ce que nous venons de traverser.

S’ensuit une hospitalisation en pouponnière de 12 jours. Le temps pour Céleste de se stabiliser complètement, d’avoir la jaunisse aussi, de prendre des forces. Le temps pour nous de perdre les nôtres, de nous sentir très seuls et désemparés. 12 jours pendant lesquels nous entendons “C’est gros, ce que vous avez vécu. Avez-vous du soutien?”, sans qu’on nous explique vraiment ce qui s’est passé, et sans qu’on veuille réellement y replonger. C’est trop tôt, trop à vif. On s’accroche au présent, en mode survie, portés par la puissance de Céleste.

L’important, c’est que tout le monde aille bien

Combien de fois ai-je entendu ces mots? Oui, la santé de ma fille et la mienne sont effectivement vitales, mais une telle phrase balaie toutes les conséquences aux points de vue émotionnel et psychique. Une expérience d’accouchement traumatique reste gravée et impacte autant les parents que l’enfant. Nous nous interrogeons souvent sur certaines réactions de Céleste peut-être en lien avec son vécu, et chaque jour, nous travaillons sur notre confiance en nos compétences parentales qui n’ont trouvé que peu de racines lors de la naissance. Le temps, l’amour et les rires de Céleste nous permettent doucement de trouver un apaisement.

Ce parcours de maternité a eu un impact incommensurable sur ma vie, notre famille, mon identité profonde. La graine qui s’était plantée le long de mes réflexions avant même la conception de Céleste n’a cessé de croître: moi qui doutais de vouloir devenir mère, me voici plongée corps et âme à soutenir et accompagner les Femmes dans leurs parcours de maternité.

Biographie
Professeure de Yoga spécialisée dans le bien-être et la santé au féminin, Pauline enseigne le yoga pré-natal, post-natal et le Yoga de la Femme. Doula, elle a le privilège d’accompagner les familles dans leurs parcours vers la parentalité. Sa mission, sa passion: soutenir les femmes dans toutes leurs sphères et dans chaque rôle, les accompagner dans l’exploration de leur souveraineté et de la compréhension de soi. Elle est aussi maman d’une incroyable petite fille qui lui fait voir le monde autrement.

Publication du récit

1 février 2025

Année d'accouchement(s)

2021

Citation

Roussel, P. (2025, 04 février). Quelqu’un viendra vous expliquer ce qui s’est passé. Du cœur au ventre - Mouvement pour l'autonomie dans l'enfantement. https://enfantement.org/ducoeurauventre/recits/hopital/quelquun-viendra-vous-expliquer-ce-qui-sest-passe/

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