Présentation
Pour notre premier bébé, porté par ma conjointe Pauline, c’est moi qui ai eu l’idée d’aller visiter la maison de naissance et de rencontrer les sages-femmes. Pauline a été conquise et nous avons vécu une grossesse et un accouchement paisibles, respectueux, en nous sentant accompagnées dans ce grand saut vers la nouveauté et le rôle de parents. Nous nous sommes ensuite impliquées dans le comité de parents de notre maison de naissance, ce qui nous a ouvert les portes des milieux féministes et nous a fait connaître le Groupe MAMAN. Nous sommes de ferventes défenseures de la pratique sage-femme et de l’accouchement respecté. Comme nous l’avions prévu et puisque nous avons ce luxe en tant que couple de même sexe, c’est moi qui ai porté notre deuxième enfant, trois ans après le premier. C’est lors de cette grossesse et à la suite des directives que nous avons trouvées injustes depuis le début de la pandémie que ma conjointe a voulu s’impliquer davantage et a décidé de devenir membre du Groupe MAMAN.
Mon histoire
J’ai choisi un suivi avec sage-femme pour la dimension humaine des rendez-vous. Je sais, pour avoir eu un premier suivi avec elles (sans avoir été la personne qui accouche), que les sages-femmes prennent leur temps, apprennent à nous connaître. Ce sont des rencontres humaines avant d’être médicales.
Plus que tout, je voulais un accouchement à domicile. Avant même d’être enceinte, j’avais cette conviction profonde que je voulais accoucher dans l’eau, dans le confort de mon chez-moi. Ma grossesse était à l’origine prévue pour se terminer au cœur de l’hiver, alors je m’imaginais donner naissance dans le sous-sol de ma maison, près du poêle, dans la piscine d’accouchement. Finalement, c’est en juin que bébé devait arriver, alors on a abandonné le feu et décidé que le salon serait le lieu de naissance de notre deuxième bébé.
Puis est venue la pandémie… et avec elle, l’arrêt des accouchements à domicile, les rendez-vous par téléphone, à raison d’un sur deux, ainsi que l’impossibilité pour ma conjointe et ma fille de m’accompagner aux rencontres en personne. Elles ont donc perdu leur suivi et ma fille, déjà très préparée et heureuse d’assister à la naissance de bébé, s’est vue écartée du projet. La dimension humaine de mon suivi a pris le bord. Très vite, j’ai demandé à ma conjointe de faire les rendez-vous téléphoniques à ma place. Elle retrouvait ainsi un semblant de suivi. Et j’avalais mieux ces « rencontres » qui me déprimaient grandement, sans vraiment que je puisse mettre des mots sur le pourquoi. Les rendez-vous en présentiel, eux, s’ils se passaient toujours bien, me perturbaient. Au lieu du visage souriant et rassurant de mes sages-femmes, je ne voyais qu’un masque et des lunettes de protection. La maison de naissance si vivante et joyeuse était devenue fantomatique, vide, résonnante d’absence. Anxiogène. C’était alors mes seules sorties en dehors de la maison, mes seules interactions avec d’autres personnes que ma femme et ma fille. Et pourtant, ça ne me mettait pas en joie.
J’ai vécu plusieurs semaines dans une sorte de déni. J’ai stoppé toute préparation et toute lecture, et j’essayais de me rassurer en me disant que peut-être les choses reviendraient à la normale d’ici la naissance. Mais non.
Mon projet de naissance a complètement pris le bord et même si on a proposé plein d’idées pour le rendre possible ou l’adapter, on s’est buté à des « non » sans appel et sans discussion. J’aurais aimé sentir, à ce moment-là, au travers de toute ma détresse de mon enfantement volé – parce que c’est comme cela que je le ressentais –, que mes sages-femmes n’étaient pas vraiment d’accord avec tout ça, mais qu’elles n’y pouvaient rien. Malgré tout, avec toute la résilience dont j’ai été capable et après avoir très longtemps flirté avec l’idée d’un accouchement non assisté sans oser me lancer, j’ai revu mon projet de naissance, validé avec les sages-femmes. Le jour J, j’ai donc effectué une grande partie du travail chez moi, auprès de ma fille et dans la piscine, comme prévu. Mais le travail a avancé très vite et il m’a fallu quitter le confort de mon cocon pour me rendre à la maison de naissance. J’ai la chance, à travers tout ça, d’avoir accouché le jour où les accompagnantes ont été réautorisées. J’ai donc appelé la mienne. C’est la seule qui a dû porter le masque dans la chambre de naissance, avec les sages-femmes, bien sûr.
Les conséquences aujourd’hui
J’ai accouché il y a maintenant bientôt 11 mois. Tout de suite après mon accouchement, toute concentrée que j’étais sur mon allaitement qui ne démarrait pas bien du tout, je vivais bien la façon dont les choses s’étaient déroulées, persuadée d’avoir fait la paix avec tout ça. Aujourd’hui, plus vraiment. Je ressens une colère sourde vis-à-vis de cette première moitié d’année 2020. J’ai l’impression de m’être fait voler ma grossesse et mon accouchement de rêve. Plus le temps passe, plus je suis persuadée que mon accouchement, qui s’est terminé avec ventouse, hurlements, peur et transfert pour suture (donc séparation de mon bébé), se serait bien déroulé et mieux terminé si j’avais pu rester chez moi. Quitter ma fille m’a déchiré le cœur. Le trajet vers la maison de naissance m’a sortie de ma bulle. L’inconfort de la baignoire par rapport à la piscine m’a déconcentrée.
Aujourd’hui, je regrette que les mesures en place lors de mon accouchement aient été les mêmes pour tout le monde, alors que j’étais dans une région à l’époque peu touchée et qu’aujourd’hui, même en zone rouge, les accouchements à domicile sont possibles (et j’en suis ravie pour celles qui en bénéficient). Je regrette que ma fille, qui s’avère être une super grande sœur, ait été privée de la naissance de son frère, comme d’un tas d’autres choses cette année, alors que notre choix et son désir étaient qu’elle soit là.
Je me rends compte que j’ai passé ces mois en mode survie et acceptation pour le bien de mon bébé et que maintenant qu’il est là, en pleine santé et avec son sourire dévastateur, tous ces deuils que j’ai dû faire me rentrent dedans avec force, accompagnés de bien des regrets.