Mon enfantement à crédit – Témoignage d’un accouchement sans la RAMQ

Par Cindy

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Cindy relate son parcours de grossesse et la naissance de son enfant alors qu’elle n’a pas accès au régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ). Les démarches administratives, les coûts d’un suivi et d’un accouchement sans RAMQ, la recherche d’une doula et d’une maison de naissance, elle partage toutes les étapes et ses réflexions entourant ce parcours difficile et complexe.

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Pourquoi je souhaite témoigner?
Je veux témoigner pour partager les difficultés d’accoucher lorsque nous ne sommes pas couvert par le Régime d’assurance maladie du Québec.

Nous n’étions pas en couple depuis longtemps, Ugo et moi, quand nous avons décidé de fonder notre famille. On se voyait peu puisque lui, un Québécois, vivait à Montréal et moi, une Française, je résidais en région parisienne. On a pris cette décision lors d’une de ses visites en France. Il prenait l’avion le lendemain, alors, assurément, ce serait pour dans quelques mois… sauf que la vie en a décidé autrement. Dix jours plus tard, avant même un retard de règles, j’ai su que j’étais enceinte. Le lendemain, ma prise de sang le confirmait. C’est là que tout a commencé!

D’abord, la joie et l’euphorie nous ont envahis. Très rapidement, les questionnements en matière d’organisation pratique nous ont rattrapés : qui, de nous deux, allait traverser l’océan? Où allions-nous accueillir notre bébé et installer notre famille? Nous avons finalement fait le choix de nous établir au Québec, mais qu’allait-il en être de la naissance?

Une préparation à la naissance très… administrative!

Enceinte d’à peine quelques jours en octobre 2015, me voilà en pleines recherches et démarches administratives sur le site gouvernemental d’un pays où je n’avais encore jamais mis les pieds, mais où je projetais de vivre le restant de mes jours. Ayant eu le privilège d’accompagner des personnes immigrantes dans leur parcours en France, j’étais relativement bien outillée pour comprendre les mécaniques gouvernementales. En revanche, j’avais sous-estimé les barrières culturelles. Les acronymes pleuvaient sans que je puisse les rattacher à quelque chose de connu : CIUSSS, CLSC, RAMQ, RQAP… J’ai donc fait des recherches en premier lieu non pas sur la grossesse, mais sur l’organisation sociale et politique au Québec. Un cours 101 accéléré d’univers social!

Nous nous sommes d’abord demandé s’il ne serait pas préférable que j’accouche en France et, qu’ensuite, je vienne avec bébé au Québec. Toutefois, dans ce cas de figure, je vivais la totalité de ma grossesse seule et nous étions alors deux à devoir faire des démarches d’immigration : moi ET bébé. Nous avons rapidement écarté cette solution et commencé à explorer les couvertures d’assurances privées et voyages. Je ne sais plus combien de polices d’assurance j’ai lues, mais je me rappelle que toutes, à ce moment, avaient un délai de carence de neuf mois en ce qui a trait à l’accouchement.

Parallèlement, je faisais des recherches sur les meilleures stratégies d’immigration. Rapidement, j’ai abandonné les pistes d’immigration par l’emploi : qui embaucherait une femme enceinte à l’étranger? Par ailleurs, beaucoup de demandes possibles prennent bien plus que neuf mois à être traitées par les autorités. Le parrainage sembla rapidement notre meilleure option, sauf que nous n’étions pas reconnus comme conjoints de fait, puisque nous n’avions pas habité ensemble au moins un an. En réalité, nous n’avions même jamais habité ensemble. Parrainage des époux? Nous n’étions pas mariés. Un vrai casse-tête! Nous avons alors décidé de nous marier pour nous faciliter la tâche. Quoi qu’il en soit, faire la demande depuis l’extérieur du Canada n’était pas une option au vu des délais de traitement. J’arriverais donc en faisant la demande du statut « visiteur » et nous ferions les démarches une fois sur place.

Passez par la case immigration et payez 13 000 $

Maintenant que nous avions décidé qui traversait l’océan et de quelle manière, d’un point de vue légal, il était temps de se questionner sur nos options de suivi et de lieu d’accouchement. C’est mon conjoint qui a fait les téléphones. C’était stressant pour moi de ne pas avoir la main là-dessus et d’être dans l’attente, sans contrôle. Et les nouvelles n’étaient pas bonnes. Ugo avait appelé plusieurs hôpitaux de Montréal et c’était le même prix partout : un dépôt de 13 000 $ pour accéder à un suivi de grossesse (en 2016). Nous avons eu très peur. Nous n’avions que peu d’argent – surtout des dettes, en réalité – et nous savions que j’allais être plusieurs mois sans revenus.

J’ai écrit à tous les organismes liés à la naissance au Québec et, finalement, nous avons contacté Médecins du monde. Ils offraient une rencontre pour les personnes immigrantes[1]. C’est mon chum qui y a assisté, puisque j’étais toujours en France. Il devait être le seul homme blanc non immigrant. Je me rappelle des personnes dont il m’a parlé qui étaient à cette rencontre, enceinte pour certaines de 38 semaines, sans aucun suivi médical et sans aucune solution d’accompagnement pour l’accouchement. J’ai eu peur de vivre cette même situation, de n’avoir aucun suivi ou de devoir m’endetter à vie en cas de complication. Peur de ne pouvoir venir auprès de mon amoureux pour cette naissance, de devoir enfanter seule en France.

Les intervenant·e·s de Médecins du monde ont toutefois été rassurant·e·s : les hôpitaux ne peuvent pas refuser des ententes de paiement, quand bien même seraient-elles sur 20 ans, et ils ne peuvent pas refuser une personne sur le point d’accoucher. Ugo est aussi revenu avec quelques astuces et conseils sur les questions à poser ainsi que des informations sur mes droits. Nous avons obtenu les grilles tarifaires des hôpitaux et j’ai ainsi pu voir qu’il y avait des espaces de négociation. Par exemple, la nuit d’hôpital post-partum étant facturée à plus de 3000 $, alors si je partais dans les 24 h, j’économisais déjà 6000 $. N’est-ce pas inhumain de construire son projet d’accouchement en fonction des coûts?

Une doula qui a fait la différence

J’étais alors seule, enceinte d’environ un mois, à Paris, avec une activité professionnelle extrêmement prenante. Aucune autre personne de mon entourage proche n’avait d’enfant et je n’avais aucun lien avec ma mère depuis plusieurs années déjà. Ma colocataire, à qui j’exprimais mon angoisse et le manque de présence d’une figure maternelle, me lança alors : « Prends-toi une doula. » Je n’avais aucune idée de quoi elle parlait, mais rendue là… J’ai cherché une doula dans le maigre bottin des accompagnantes à la naissance et j’ai appelé Tatianna.

Nous nous sommes rencontrées. Je ne savais pas trop ce que je faisais là. Et quand je lui ai raconté mon histoire, elle m’a dit : « Tu vas peut-être avoir la chance d’accoucher en maison de naissance ». Je n’avais aucune idée de quoi elle parlait. Elle m’a alors expliqué la pratique sage-femme, l’accouchement naturel… quoi? Pas de péridurale? J’ai ri et rétorqué que c’était bien trop hippie pour moi. Elle m’a prêté le livre Une naissance heureuse, d’Isabelle Brabant, et Le bébé est un mammifère, de Michel Odent. Je n’ai pas lu le livre d’Isabelle Brabant, car il était impossible à lire dans les transports en commun à cause de sa taille et de son poids. En revanche, j’ai dévoré celui de Michel Odent.

Ce que je lisais sur la naissance physiologique avait tellement de sens, que c’était décidé : je voulais accoucher en maison de naissance avec une sage-femme, et nulle part ailleurs.

À la chasse aux maisons de naissance

Aussitôt, j’ai cherché les coordonnées des maisons de naissance et j’ai demandé à mon chum de les appeler. Toutes celles de Montréal qu’il avait contactées demandaient également un dépôt de 13 000 $. Je me rappelle avoir dit à Ugo : « Trouve des adresses d’ami·e·s ou connaissances partout au Québec, on va trouver une place! » Il a donc appelé la maison de naissance de l’Estrie en donnant l’adresse de sa mère à Granby. Après tout, on ne savait même pas où on allait habiter. Et là, surprise, on nous annonce que l’on doit payer « seulement » 300 $ par rencontre, prix auquel s’ajoutent les frais de laboratoire. À 37 semaines de grossesse, nous allions devoir payer le 2000 $ de l’accouchement et du post-partum. Ce « forfait » ne comprenait que 3 h post-accouchement à la maison de naissance et nous devions ajouter 75 $ l’heure pour les heures suivantes. Nous venions de diviser par deux la potentielle facture et j’avais une place pour moi en maison de naissance. En sept semaines, nous avions réglé une grosse partie de l’équation.

En quête d’argent pour payer les frais d’accouchement et tout le reste

Une première grossesse, c’est déjà une potentielle source de stress. Immigrer enceinte avec des enjeux financiers, c’est une coche au-dessus! J’ai rejoint mon conjoint à Montréal à près de sept mois de grossesse. Ugo faisait un salaire modeste et, moi, avec le statut de visiteuse, je n’avais aucun moyen de travailler. J’ai même proposé de faire des ménages pour avoir un petit revenu d’appoint, mais sans réseau et enceinte, je n’ai pas trouvé. J’ai essayé de m’inscrire à des activités prénatales, mais connecter avec des personnes inconnues dans une culture inconnue est plus ardu que ce que l’on peut imaginer. J’ai vécu les trois plus longs mois de ma vie.

C’était par ailleurs très confrontant de me retrouver du jour au lendemain « femme au foyer » alors que, quelques mois plus tôt, j’étais présidente-directrice d’une organisation nationale syndicale dans mon pays. Je me suis inscrite à Accès bénévolat, j’ai dit que je voulais participer à des CA, on m’a rétorqué que ce n’était pas raisonnable avec ma grossesse et on m’a orientée vers des offres de bénévolat auprès de la petite enfance. Tout me renvoyait tout le temps à mon identité de mère en devenir quand j’avais besoin de vivre comme femme et citoyenne. Passer d’une identité de personne publique, militante reconnue, à celle d’anonyme que l’on cantonne à sa maternité a été l’épreuve la plus désagréable de tout ce processus. Quand j’ai d’ailleurs finalement eu une occasion de bénévolat auprès d’un organisme de femmes dans les métiers non traditionnels, je me suis fait dire par la directrice avec qui je partageais ma réalité : « Ce n’est pas très féministe de dépendre de son mari. » Je me suis sentie insultée et diminuée comme jamais et cela n’a fait que renforcer mon sentiment d’imposture.

N’ayant aucun revenu et aucune possibilité d’avoir un compte en banque, moi, la femme féministe et indépendante, je me retrouvais complètement dépendante de mon tout nouveau mari. Je savais que c’était temporaire et Ugo a toujours eu le meilleur des comportements, mais devoir payer l’épicerie avec une carte qui ne porte pas mon nom et avoir un compte en banque auquel je ne contribuais pas me faisait sentir terriblement vulnérable.

Mon conjoint et moi venions de vivre chacun de notre côté une année financière difficile. Je devais recevoir une certaine somme d’argent avant mon arrivée au Québec qui allait permettre de couvrir les frais d’accouchement et d’immigration. Je n’ai finalement jamais reçu cet argent, pour des raisons administratives que je ne détaillerai pas ici.

J’étais donc, à ce moment au Québec, enceinte de sept mois et nous n’avions finalement pas l’argent pour mon suivi. Ugo avait beau être québécois, il était rentré y vivre depuis moins d’un an et n’avait pas repris de carte de crédit. Sans historique de crédit, impossible d’obtenir une marge de crédit. Il a fallu que nous demandions à son père de cosigner une marge de crédit pour que nous ayons les fonds. La marge de crédit a été débloquée alors que j’étais enceinte de 36 semaines et 4 jours, soit 3 jours avant la date limite à laquelle nous devions verser les 2000 $ pour l’accouchement. C’était de justesse!

Partir enfanter sans la RAMQ ni voiture à 2 h de chez soi

Finalement, le grand jour est arrivé. C’est le soir de la Saint-Jean que ma sage-femme m’a dit qu’il était temps de venir. Mon conjoint n’avait pas encore son permis, il était proche de minuit et notre conducteur du plan A ne pouvait pas nous conduire. Le conducteur de notre plan B habitait à 50 minutes de route de chez nous et nous avions ensuite presque 2 heures de route pour nous rendre à la maison de naissance à Sherbrooke depuis Montréal. Bizarrement, j’étais terriblement sereine. Je crois que j’avais eu le temps de stresser pour bien d’autres affaires autour de la naissance!

J’ai vécu une expérience d’enfantement extraordinaire, si ce ne sont les moments où j’ai douté. La perspective d’un transfert à l’hôpital qui t’endette à vie est très dissuasive de demander une péridurale.

C’est trois heures après la naissance de ma vie que nous sommes revenus à la réalité de notre situation. Notre fille est née le soir, donc rester la nuit à la maison de naissance nous aurait coûté environ 1000 $ de plus (75 $/h). C’était hors de question. Or, nous étions à Sherbrooke un samedi soir, sans auto, et nous devions de toute façon revenir pour la visite du jour 1. Nous sommes donc allés à l’hôtel, ce qui nous revenait 10 fois moins cher que de rester à la maison de naissance. Je me rappellerai toujours la face du monsieur au petit déjeuner qui m’a dit : « Oh! C’est tout jeune, ça ! » et à qui j’ai répondu : « Oui! Elle a 12 h de vie ».

Finalement, mon suivi, à compter du 7e mois de grossesse, et l’accouchement, nous auront coûté environ 6000 $. C’est une somme importante, c’est certain, mais pour rien au monde je changerais quoi que ce soit aux décisions que nous avons prises pour vivre cette merveilleuse naissance en famille.

Note : Je tiens aussi à reconnaître que même si nous traversions une période de précarité ponctuelle, nous avions, mon conjoint et moi, le privilège d’avoir des formations et expériences professionnelles qui nous laissaient envisager que toute cette situation n’était que temporaire. Nous avons également eu le privilège d’accéder à un crédit. Il est important de reconnaître que toutes les personnes à statut précaire ne vivent pas ces privilèges et peuvent se retrouver en très grande difficulté.

[1] https://www.medecinsdumonde.ca/clinique-pour-les-migrants-sans-couverture-medicale/

Publication du récit

11 juillet 2024

Ressources

Guide pour femmes enceintes sans couverture médicale au Québec par Médecins du Monde

Guide regroupant des informations diverses sur le suivi de grossesse, l’accouchement et l’enfant à naître lorsque la personne enceinte n’a pas accès à la couverture d’assurance maladie du Québec.

Citation

Piétrieux, C. (2024, 03 octobre). Mon enfantement à crédit – Témoignage d’un accouchement sans la RAMQ. Du cœur au ventre - Mouvement pour l'autonomie dans l'enfantement. https://enfantement.org/ducoeurauventre/recits/maison-de-naissance/mon-enfantement-a-credit-temoignage-dun-accouchement-sans-la-ramq/

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