Quand la peur d’accoucher influence tes choix
Comme beaucoup d’autres femmes, j’avais de l’accouchement une image assez horrible, celle que nous véhiculent les films et les séries télé. Je me voyais en train de souffrir le martyre pendant des heures, dans une chambre d’hôpital, les quatre fers en l’air, avec à mes côtés un conjoint démuni et une infirmière qui me hurlait de pousser. Bref, j’avais terriblement peur de souffrir.
Peut-être aussi que le fait d’avoir assisté à l’accouchement de mon premier neveu m’avait traumatisée. Je me rappellerai toujours les hurlements de douleur de ma sœur pendant qu’elle poussait pour faire sortir son fils. Ça n’avait pourtant pas été si long comme accouchement, mais ça m’avait beaucoup impressionnée.
Alors, quand est venu le temps pour moi de choisir mon lieu d’accouchement pour la naissance de mon premier enfant, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers le monde hospitalier. Parce que je tenais absolument à la péridurale. Même si je ne suis pas une fervente adepte de la médecine telle qu’on la pratique de nos jours, je me disais qu’en 2016, si on avait les moyens de ne pas souffrir, autant en profiter ! J’avais quand même appelé les maisons de naissance au cas où, car je ne voulais pas risquer de me retrouver sans suivi de grossesse. Et j’ai tellement bien fait !
Après avoir enduré des heures d’attente à chacun de mes rendez-vous de suivi à l’hôpital, pour ne jamais parler à la même personne, je me suis carrément vu refuser la prescription pour le test prénatal que je souhaitais faire au privé. Ce jour-là, je me suis dit : « C’est assez ! Non seulement on me fait attendre des heures sans aucune raison, mais en plus on ne me laisse pas choisir les examens que j’estime nécessaires pour me rassurer ? Si on s’oppose à ma volonté maintenant, ça va être quoi le jour de l’accouchement ? ». J’avais tout de même 38 ans, lors de mon premier accouchement, alors les risques d’avoir un enfant avec une anomalie génétique étaient supérieurs à la moyenne, et c’était quelque chose que mon conjoint et moi n’étions pas prêts à assumer.
J’ai donc rappelé la maison de naissance pour leur dire que je souhaitais continuer mon suivi avec eux. Et pour me rassurer — parce que la peur de souffrir n’avait pas disparu —, je me suis plongée dans la lecture du livre Une naissance heureuse : bien vivre sa grossesse et son accouchement d’Isabelle Brabant, sur les recommandations d’une amie. Il y a des livres qui changent votre vie et celui-ci en est un. J’y ai découvert tout ce qu’on avait fait subir aux femmes pendant des siècles, combien on a tout en nous pour accoucher par nous-mêmes sans assistance médicale, une assistance qui d’ailleurs peut souvent faire plus de mal que de bien. Bref, plus je lisais, plus je me sentais capable d’accoucher par moi-même avec l’aide de la sage-femme. Le suivi avec elle a par ailleurs été merveilleux, car elle était toujours là pour répondre à mes 1001 questions, ce qui me rassurait.
Un accouchement complètement inattendu
Et heureusement ! Car, comme tous les premiers accouchements, le mien ne s’est pas du tout passé comme je l’avais imaginé !
La veille de mon accouchement, j’avais eu une envie irrépressible d’aller voir les couleurs (on était à la mi-octobre) et j’avais convaincu mon chum d’aller faire une longue promenade dans un boisé avant d’aller fêter les 70 ans de ma belle-mère au restaurant. Et le lendemain, fatiguée par cet intense effort physique (j’en étais quand même à 39 semaines de grossesse !), j’avais passé la journée assise dans le sofa de mes beaux-parents à jaser tout en écoutant la télé. À un moment donné, au cours du souper, j’ai commencé à sentir que le monde m’agaçait, alors j’ai demandé à rentrer chez nous.
Mais ce n’est qu’après avoir monté les trois étages qui menaient à notre condo que j’ai ressenti mes premières vraies contractions. C’était vraiment plus intense et plus rapproché que d’habitude. Mon chum m’a donc fait couler un bain, mais comme cela ne semblait pas m’apaiser, il a appelé la sage-femme.
Celle-ci ne m’a pas cru tout de suite. Pourtant, je sentais que « ça » poussait en dedans de moi. Finalement, c’est quand j’ai perdu les eaux d’un coup sur le lit que les choses se sont accélérées et que la sage-femme nous a dit de venir rapidement à la maison de naissance. Seulement, je n’en étais pas capable ; j’avais trop mal. Et comme mon chum était complètement paniqué, lui qui est d’ordinaire si calme, lui sur qui je comptais pour m’aider à traverser cette épreuve avec zénitude, il a d’abord fallu que je retrouve mon calme par moi-même. Je me suis donc mise à respirer profondément entre chaque contraction puis, quand j’ai été en mesure de me lever, à marcher tranquillement de long en large dans l’appartement en priant ma petite de ne pas sortir tout de suite, parce que nous n’étions pas encore à la maison de naissance.
C’est la première fois de ma grossesse que j’ai vraiment senti la connexion avec mon bébé. Et d’ailleurs, elle m’a entendue si bien que nous avons pu embarquer dans l’auto et nous rendre à temps à la maison de naissance. Je dis bien « à temps », car à quelques minutes près j’accouchais dans l’auto. En effet, une fois sur place, la sage-femme n’a même pas eu le temps de m’examiner que j’ai senti passer une grosse contraction qui m’a forcée à me mettre à quatre pattes et qu’elle a vu la tête de mon bébé se pointer. C’est alors qu’elle m’a demandé de pousser. Il m’aura fallu à peine 5 ou 6 poussées avant que je sente ma petite glisser sous moi du haut de mon vagin pour atterrir sur le lit.
Une merveilleuse rencontre suivie d’une belle découverte
Elle avait un peu l’air de se demander ce qu’elle faisait là. Et moi j’ai été surprise par sa petite taille étant donné celle de mon ventre depuis une semaine ! Quelle rencontre merveilleuse ce fut ! J’étais aux anges et mon chum aussi. Après les vérifications néonatales de base et la coupure du cordon ombilical, nous avons pris le temps de nous découvrir avant de nous endormir tous les trois dans le même lit (les joies d’accoucher en maison de naissance !). Et quelques heures plus tard, à notre réveil, nous avons eu droit à un merveilleux petit-déjeuner, préparé avec amour par les aides-natales.
Je garde un tellement beau souvenir de cette expérience qu’il était évident pour moi que l’accouchement de ma deuxième fille se passerait au même endroit. J’ai d’ailleurs eu la chance, trois ans et demi plus tard, d’être suivie par la même sage-femme. Pourtant, je lui en voulais un peu de ne pas m’avoir crue quand je lui avais dit que j’allais accoucher dans la nuit… Parce que ce qu’il y a de merveilleux quand on accouche, c’est que le corps sait. C’est une phrase que j’avais lue dans un livre, mais que je n’avais jamais expérimentée par moi-même avant d’accoucher. Le corps sait ce qui se passe et ce qu’il a à faire.
Un deuxième accouchement encore plus puissant
J’en ai eu la confirmation lors de mon deuxième accouchement. Ce jour-là, j’ai mesuré toute la puissance d’être femme. J’ai découvert mon pouvoir ou plutôt je me suis reconnecté à lui ; parce qu’au fond il a toujours été là, enfoui derrière les conditionnements de mon éducation, les peurs de mon enfance et toutes les croyances dont la société nous abreuve au sujet des femmes.
Bien sûr, j’étais beaucoup moins craintive à l’aube de ce deuxième accouchement, car je savais à quoi m’attendre. Mais surtout, entre ma première et ma deuxième grossesse, j’avais découvert le merveilleux monde du féminin sacré, si bien qu’un mois avant ma date prévue d’accouchement, le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, j’avais réuni toutes mes amies les plus proches à venir célébrer mon « Blessing way ». Pour celles et ceux qui ignorent de quoi il s’agit, j’aime dire que c’est un peu comme un shower de bébé spirituel ! La maman réunit autour d’elles des femmes qui lui sont chères pour célébrer sa grossesse, mais aussi la chouchouter et la supporter dans l’accouchement à venir. Lors de cette magnifique journée, j’avais fait venir une femme qui avait réalisé un merveilleux tatouage au henné en forme de rosace sur mon ventre, et nous avons tissé ensemble, mes amies et moi, un collier de perles où chacune me transmettait une qualité qui allait m’aider lors de mon accouchement. Je l’ai porté jusqu’au jour J où il s’est brisé en mille morceaux en plein milieu de la poussée !
Quand la pandémie vient changer tes plans…
Comme je me sentais beaucoup plus sûre de moi et que je craignais d’accoucher rapidement, je voulais faire cela à domicile. Mais voilà, nous étions en mars 2020, au tout début de la pandémie, et chaque semaine, les directives du ministère de la Santé changeaient, si bien que même si les sages-femmes tenaient à respecter mon choix le plus possible, elles étaient tenues de se conformer aux autorités médicales qui cherchaient à tout prix à assurer la sécurité du personnel soignant et à limiter la propagation du virus. Il a donc été décidé que j’accoucherais en maison de naissance, à moins que le bébé n’arrive trop vite. Comme quoi, même avec une sage-femme, on n’est toujours pas libre d’accoucher comme on veut en 2020…
Finalement, ce deuxième accouchement a été beaucoup moins précipité que le premier, peut-être parce que j’étais déjà passée par là… En effet, dès les premières contractions, j’ai su que ça s’en venait. Alors, je me suis levée au milieu de la nuit et j’ai bercé mon bébé, assise sur mon ballon de grossesse. Il ventait fort cette nuit-là. Vers 6 h, j’ai appelé ma sage-femme pour lui dire que j’allais accoucher aujourd’hui, mais que j’aimerais avoir le temps de déjeuner avant, parce que j’avais besoin d’énergie pour ce qui s’en venait.
Ça me faisait tout drôle d’arriver là le matin plutôt qu’en pleine nuit, et d’avoir le temps de m’installer. Je ne savais pas quoi faire de mon temps ! Alors, j’ai commencé à monter un petit autel avec les précieuses offrandes reçues lors de mon « Blessing way », et à me mettre dans une tenue confortable. Et c’est là que j’ai à nouveau perdu les eaux de manière spectaculaire ! Mon mari a alors appelé la sage-femme et le travail a commencé. Cette fois-ci, comme le bébé était plus gros, j’ai dû pousser une bonne heure avant qu’il sorte. Je me rappelle à quel point je savais quoi faire : il me suffisait de suivre la vague de contractions pour savoir à quel moment pousser. Dans les brefs moments de répit, je reprenais mon souffle et tâchais de me reposer un peu. J’avais chaud, j’étais fatiguée et en même temps, je savais que je touchais au but. Je ne voulais pas que mon chum me touche, j’étais dans ma bulle à moi avec mon bébé, et c’était tout ce qui comptait.
La naissance d’une nouvelle femme
Et quand ma fille est sortie, j’ai véritablement pris conscience de toute ma puissance de femme. J’avais en moi tout ce qu’il fallait pour accoucher. J’avais réussi à supporter la douleur et à tenir la distance, seule. Vous me direz, une heure de travail, ce n’est pas si long comparé à d’autres femmes. Certes, mais en comparaison de ma première expérience, cet accouchement-ci m’a semblé durer une éternité ! D’ailleurs, je suis à peu près certaine qu’aucun homme (à l’exception des hommes trans) ne serait en mesure d’endurer la douleur d’un accouchement[1].
Mon seul regret a été de ne pas avoir demandé à mon chum de filmer cette deuxième naissance. Parce que j’aurais vraiment aimé VOIR ma fille sortir de mon ventre.
Depuis ce jour, j’ai appris à faire confiance à mon corps et à mon ressenti, à écouter davantage mon intuition et j’ai pris conscience de tout mon potentiel. C’est pour cela que j’aide désormais les femmes à libérer la parole autour de la maternité en défonçant tous les tabous qui l’entourent afin de leur restituer leur pouvoir et d’aider les futures mères à vivre plus sereinement cette période de leur vie.
Parce qu’en mettant au monde mes filles, j’ai aussi mis au monde une nouvelle version de moi-même.
Anne Julien, Fondatrice de Mamans sans tabous
[1] Nous reconnaissons à la fois que plusieurs femmes se relient à leur identité de femmes et que cela donne un sens à l’expérience d’enfantement et contribue à la gestion de la douleur ou au sens que prend la douleur dans leur expérience. Nous reconnaissons aussi que les personnes qui donnent naissance sont diverses: femmes cis, personnes non binaires, hommes trans, personnes 2-spirit.